Jacques Perconte
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  26 février 2019  
Olcèse, Rodolphe, Mediapart.
Paysages traversés. Quelques films de Jacques Perconte édités chez Re:voir
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" Re:voir Vidéo édite début avril une anthologie de films de Jacques Perconte. Une occasion de revenir sur la singularité du geste de création de ce cinéaste plasticien devenu incontournable.

Cinéaste et plasticien, Jacques Perconte affine depuis de nombreuses années un geste filmique remarquable et à nul autre pareil. Pour ce faire, il explore les possibilités formelles ouvertes dans le champ de la création par les outils de compression vidéo. Initialement conçus pour alléger les fichiers et faciliter leur circulation et leur diffusion en ligne, ces technologies permettent à Jacques Perconte de travailler des motifs qui semblent bien éloignés de toute considération technicienne, dans lesquels il dévoile une puissance plastique et des intensités chromatiques saisissantes. La patience avec laquelle Jacques Perconte explore ses outils techniques a pour contrepoint immédiat la persévérance avec laquelle ses films relancent toujours la même question pour y répondre positivement : la technique permet-elle de rencontrer cette nature dont elle commence toujours par nous séparer ?

L’image à l’épreuve du réel

Toute la pratique de Jacques Perconte se déploie dans la tension entre une attirance très forte pour un motif - un corps ou un paysage - et une conscience inébranlable que l'image qui en sera faite ne peut que nous en séparer. Le cinéaste semble chercher un mode de présence à la nature que son outil lui refuse. Cette contradiction apparente est sans doute le soubassement de toute son œuvre. Elle constitue par ailleurs le parfait contrepoint de l'idéologie industrielle de l'image numérique, lancée dans une course démesurée à la définition, comme si la précision de la capture numérique du réel pouvait nous rapprocher d'une quelconque manière des motifs exposés à l'appareil de prises de vues. À l'inverse, le cinéma de Jacques Perconte est traversé par la certitude que le plasticien doit travailler à la réalité de l'image plutôt qu'à l'image de la réalité, souvent illusoire et susceptible de trahir aussi bien l'image que le réel dont elle voudrait devenir un signe transparent. A l'inverse, la réalité de l'image s'écarte manifestement de son objet, mais c'est pour en restituer la vie intérieure. Nicole Brenez le souligne quand elle écrit que le cinéma de Jacques Perconte entretient avec la nature un rapport d'analogie : « la machinerie informatique pour lui n'est pas fidèle au monde en ce qu'elle serait capable d'en enregistrer et traiter les apparences, mais parce qu'elle peut dégager des vibrations, en particulier chromatiques, non pas mimétiques, mais analogues aux vibrations du réel »

Sans doute Jacques Perconte partage-t-il avec Paul Klee cette conviction que « l’art ne rend pas le visible, il rend visible ». Il doit produire un régime de visibilité qui lui est propre, c’est-à-dire engendrer une image réelle et non pas une image du réel, ce qui ne serait jamais que le perdre en le diluant dans ses apparences. Henri Maldiney, qui a fait sienne cette sentence géniale de Klee, creuse cette opposition entre deux modalités de l’image dans les arts : « L’image de la réalité consiste dans l’illusion de son apparence. La réalité de l’image est l’événement actuel de son apparaître », écrit dans l’un des textes du recueil Art et existence. Ce ne serait pas trahir la démarche de Jacques Perconte que de dire de sa recherche plastique qu’elle vise dans l’image l’événement actuel de son apparaître. S’il faut filmer des corps et les soumettre aux techniques de compression, c’est pour trouver avec eux le corps de l’image elle-même, c’est-à-dire l’enveloppe, la texture à partir de laquelle elle peut nous apparaître comme image.

De l’image du corps au corps de l’image

SNSZ (2002) se présente comme le journal d’une rencontre amoureuse entre deux corps filmés dans l’étreinte. Les images transformées par de multiples compressions disparaissent dans leur propre abstraction, quoi faisant ils engendrent ce corps de l’image qui ne représente pas tant l’acte amoureux qu’il ne surgit comme le résultat de son effectuation. Ces masses rouges, jaunes, vertes qui s’amplifient et se contractent matérialisent visuellement le mouvement d’une respiration, où les souffles se mélangent. Dans cette abstraction des motifs, le film opère un passage de la pulsion à la pulsation visuelle. L’image respire et notre regard avec elle.

L’image a un corps, mais aussi une peau, une étoffe. Jacques Perconte s’efforce de la mettre en évidence dans isz (2003). Ce film explore les potentialités plastiques de quelques pétales de roses, dont l’intensité chromatique évolue de manière tantôt ascendante et tantôt descendante, au gré du mouvement du film. Ce que la compression révèle dans ce film, c’est la mobilité de la couleur elle-même, qui glisse constamment d’un état à un autre. Cette circulation presque monochromatique manifeste une indécision quant à l’image, suspendue entre deux échelles : la fragilité d’une matière minuscule – quelques pétales de roses – est prise dans un mouvement atmosphérique que le film déploie en s’enfonçant dans des formes microscopiques. Le travail sur la couleur que propose Jacques Perconte dans isz est ainsi au service d’une climatique des sentiments, dont la figuration épouse les dimensions du monde.

Dynamique du paysage

La mise à nu du corps de l’image découvre sa capacité à faire paysage. « On ne voit plus l’image du paysage, on voit le paysage de l’image », comme le formule Jacques Perconte. A-t-on perdu le paysage pour autant ? Jacques Perconte révèle la capacité du medium à accueillir une immensité et la puissance de révélation qu’un tel accueil produit. Une telle immensité est à comprendre de manière non pas extensive mais intensive. Le paysage, dans le cinéma de Jacques Perconte, est un motif dynamique. Il engage un mouvement par lequel il vient à lui-même, au risque de se perdre ou de nous perdre en lui.

Il est remarquable que les films de paysage de Jacques Perconte épousent très souvent un même mouvement narratif. Ils commencent par établir un rapport figuratif au paysage, prennent leur élan dans sa représentation concrète, puis les techniques de compression pénètre les images qui en sont faites pour découvrir en elles d’autres états du paysage.

Dans Après le feu (2010), ce mouvement est particulièrement saillant. Le film s’ouvre sur un travelling réalisé dans un train qui traverse un paysage en Corse dévasté par un incendie. Ce mouvement dans le paysage se double d’une traversée de l’image elle-même, qui expose progressivement sa facticité au gré de compressions qui la révèle à elle-même. L’image devient le support de sa propre élaboration, elle se lève depuis son propre fond et « libère la possibilité de son imagement », comme le souligne avec beaucoup de justesse Vincent Deville dansRendre visible le lien que nous avons avec les choses, un texte rédigé pour livret qui accompagne l’édition d'une anthologie des films de Jacques Perconte chez Re:voir Vidéo. L’image, dans les films de Jacques Perconte, est toujours « imageante » et c’est sans doute la raison pour laquelle elle peut donner à voir l’incendie bien après que les dernières flammes se soient éteintes : il lui suffit de capter quelques traces du réel pour retrouver l’événement même qu’elles ne peuvent retenir.

C’est encore ce que montre un film comme Chuva, réalisé en 2012. Ce film s’ouvre sur un paysage marin plongé sous la pluie et contemplé patiemment. Puis il glisse progressivement en perdant des détails de l’image, qui nous submerge peu à peu alors que ses contours s’estompent. Cette immensité d’abord lointaine – ce sentiment de distance est notamment produit par les tons gris qui dominent l’image quand le film commence – finit par nous déborder de toutes parts. Nous sommes passés de l’autre côté du motif et notre regard habite désormais le paysage de l’image.

Un événement dans l’image

Si la technique ne peut nous donner accès à la nature stricto sensu, elle peut par contre produire des intensités qui quant à elles ne sont pas étrangères, dans la manière qu’elles ont de nous atteindre, aux puissances naturelles qui innervent le cinéma de Jacques Perconte. Compresser des fichiers vidéos consiste ordinairement à retirer en eux de l’information pour les alléger et faciliter leur diffusion, en ligne notamment. Les fichiers compressés sont abimés, fragilisés dans leur capacité à restituer une figure ou un mouvement. Les paysages de Jacques Perconte s’exposent à des fissures, des fractures de tous ordres. Quand un oiseau traverse le ciel, il semble apparaître dessous l’image, comme s’il devait lui-même lui soustraire de la matière pour réaliser son mouvement.

Dans Impressions (2012), les motifs filmés ne cessent de faire événements dans l'image. Des immeubles se diluent progressivement et mutent soudain en de purs nuages. Un bateau industriel filmé au loin tremble soudain au dessus de la ligne d'horizon. Des vaches se devinent progressivement derrière des fleurs colorées filmées en gros plan. C’est leur mouvement qui révèlent ces motifs en chassant progressivement cette image sous laquelle ils apparaissent ou à l'inverse en se diluant lentement dans un plan qui vient à leur rencontre. Ce que dit une telle opération plastique, quelle que soit la forme qu'elle prend, c'est que l’image ne peut apparaître que dans et au moyen d’une autre image, qui se rapporte à la première comme son bain révélateur. Et c’est cette présence d’une image à l’autre qui fait que le films peut accueillir les mouvements les plus discrets – les battements d’ailes d’un papillon, un oiseau minuscule qui traverse le ciel – comme de purs événements : heureusement soustraite à toute exigence mimétique, l’image révèle son étoffe en se fracturant au contact d’une forme qui soudain entre en présence. "

 




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