Jacques Perconte
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  10 avril 2019  
Orlof, Dr, Le journal cinéma du Dr Orlof .
Impressions numériques
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Paysages (2010-2012) et Corps (2002-2003) de Jacques Perconte (Éditions Re : Voir)

@ Jacques Perconte

@ Jacques Perconte

Même s’il est plus tentant de définir Jacques Perconte comme un « plasticien », un artiste contemporain travaillant à la fois sur Internet et la vidéo numérique, les sept films que nous proposent aujourd’hui les éditions Re :Voir prouvent qu’il est également « cinéaste » et que ses œuvres, aussi abstraites soient-elles, interrogent constamment notre rapport au Réel.

Regroupés en deux disques, ces films ont été classés sous la dénomination « Corps » pour trois d’entre eux et « Paysages » pour les quatre restants. Notons néanmoins qu’à part SNSZ (2002), les corps sont quasiment absents de ce cinéma paysagiste, qui explore aussi bien les routes de France que ses plages ou ses cours d’eau. C’est donc moins les figures filmées qui définissent ces deux catégories mais « la quantité de pixels qu’(elles) mettent en œuvre » selon Cyril Béghin. D’un côté, les œuvres en basse définition (en DVD) pour Corps, de l’autre, les films en haute définition (en Blu-Ray) pour Paysages.

Avec ses films, Perconte semble accomplir la même révolution avec l’image numérique que celle qu’accomplirent autrefois les impressionnistes avec la peinture. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’une de ses plus belles réussites s’intitule Impressions. Après avoir recensé un certain nombre de lieux chers à ces peintres (Etretat, Giverny, etc.), l’auteur nous propose des images particulièrement nettes de plages, des vagues qui s’échouent sur le sable… Le numérique et la haute-définition offrent alors l’illusion d’un réalisme photographique saisissant. Mais peu à peu, Perconte « attaque » ces images et joue sur des erreurs d’encodage, des accidents qui offrent une autre texture à l’image, rendent les contours flous… Comme dans Les Nymphéas de Monet ou ses tableaux de la cathédrale de Rouen, la couleur se libère de la ligne et gagne son autonomie. Perconte joue parfois, au cœur du plan, avec des zones nettes tandis que d’autres sont complètement brouillées. Les éléments naturels deviennent des pixels ou vice-versa. Par exemple, le ciel est traversé par des trainées lumineuses abstraites qui pourraient aussi bien être un vol d’oiseau que la trace d’un avion. Une sorte de « pluie de pixels » permet à l’image de se métamorphoser par un procédé qui évoque un fondu enchaîné baveux…

Tous les films de Perconte ou presque sont animés par un mouvement qui va de l’image photographique (que le numérique a rendu si « plate », sans aspérités) vers l’abstraction et la libération des couleurs et des formes. Tandis que les pionniers du cinéma dit expérimental attaquaient la pellicule avec des bains d’acide ou en la grattant, Perconte retrouve les mêmes effets par l’encodage. Après le feu est sans doute l’un de ses films les plus fascinants. Le film débute avec une caméra embarquée dans un train qui sillonne les paysages de Corse, près d’Ajaccio. Peu à peu, les contours de l’image s’estompent pour laisser place à des couleurs vives (rouge, jaune, rose…) qui évoquent la palette des peintres fauves. Tout le paysage semble dévoré par un incendie psychédélique avec ses formes indistinctes et mouvantes. Uishet avec sa caméra placée sur une barque dérivant à travers les réserves des Landes ou Uaoen et ses plans tournés sur les routes de France depuis l’habitacle d’une voiture procèdent de la même manière.

Perconte parvient à nous offrir des œuvres à la fois parfaitement ancrées dans le Réel et totalement abstraites. SNSZ, film plus ancien (2002), utilise comme référent premier un film porno dont il ne subsiste plus rien sinon quelques gémissements supplantant parfois une musique planante et une succession de formes mouvantes qui décourageront les plus polissons d’entre vous, même ceux qui découvrirent leurs premiers films X grâce au premier cryptage (très faible) de Canal +. L’image numérique est décomposée afin que le pixel gagne sa propre autonomie et devienne lui-même objet plastique.

Certains de ses plans évoquent aussi bien des explosions solaires que des toiles de Miro (avec fond monochrome et des formes abstraites qui se meuvent dessus).

Alors, bien sûr, il ne s’agit pas d’un cinéma narratif et ces expérimentations sur le médium pourront laisser indifférent mais si on prend la peine de s’y intéresser, les œuvres de Jacques Perconte s’avèrent assez fascinantes…


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