Jacques Perconte
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  14 mai 2014  
Reiner, Gabrielle, Persistances, actualités et dynamiques du noir et blanc au cinéma dans les arts filmiques.
Satyagraha
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Jacques Perconte a récupéré sur internet des plans de nature « journalistique » proviennent des archives de la Gandhi Serve Foundation. en les important sur un banc de montage virtuel sans passer par le « refilmage ». À travers cette « récupération », Perconte fait apparaître une colorimétrie inattendue et rappelle que les plans en noir et blanc en numérique n’existent pas. Cette difficulté inhérente au média d’obtenir un « vrai » noir et blanc devient l’enjeu créateur du film.

À ce travail de « colorisation » particulier, le cinéaste associe une pratique de compression des images qu’il pousse à son maximum. L’image n’est « pas la plus nette possible », mais « la plus condensée possible ». « Des bugs surgissent et sont sublimés. », explique le cinéaste. Les images se mélangent entre elles et tissent de nouvelles impressions allant jusqu’à faire apparaître la matière numérique, le pixel, au détriment de la représentation figurative. Figure et texture s’entremêlent. Le chromatisme déborde, la figuration est dépassée pour révéler un média polychrome. La « polychromie » des images associées à cette pratique du bug, débouche sur une crise perceptive

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Le réalisme n’est qu’un code. Le travail de Jacques Perconte poursuit cette question des normes et de ses leurres avec le réel. À partir d’images 16 mm. noir et blanc récupérées sur internet, le cinéaste fait apparaître la matière numérique éminemment colorée de la « toile ». Cet intermédiaire mis à nu crée, d’un point de vue figuratif, une image « irréaliste ». L’artiste « remet en cause les codes et les usages des langages informatiques. » [2] Son film Satyagraha narre de façon réflexive une histoire politique du cinéma qui s’étend aujourd’hui à toute image en mouvement.

Le film est dédicacé à Joachim Gatti, à l’appel immédiat de Nicole Brenez à la suite de ce qu’on a appelé « les événements de Montreuil » du 8 juillet 2009. Ce « manifeste visuel » répond à un événement politique. Comment Jacques Perconte réfléchit-il dans son film au devenir de la notion de création en art et comment cet art fait-il écho à des événements politiques ?

L’artiste focalise sa pratique artistique sur un montage en dialogue polyphonique et polysémique avec les oeuvres d’origine, qui sont des séquences de pellicule 16 mm. noir et blanc, représentant pour la plupart des manifestations pour l’indépendance de l’Inde avant l’assassinat de Gandhi. Ces plans de nature « journalistique » proviennent des archives de la Gandhi Serve Foundation. L’artiste les a récupérés sur internet en les important sur un banc de montage virtuel sans passer par le « refilmage ».

À travers cette « récupération », Perconte fait apparaître une colorimétrie inattendue et rappelle que les plans en noir et blanc en numérique n’existent pas. Cette difficulté inhérente au média d’obtenir un « vrai » noir et blanc devient l’enjeu créateur du film. À ce travail particulier de « colorisation », le cinéaste associe une pratique de compression des images qu’il pousse à son maximum. L’image n’est « pas la plus nette possible », mais « la plus condensée possible ». « Des bugs surgissent et sont sublimés »3, explique-t-il. Les images se mélangent entre elles et tissent de nouvelles impressions allant jusqu’à faire apparaître la matière numérique, le pixel, au détriment de la représentation figurative. Figure et texture s’emmêlent. Le chromatisme déborde, la figuration est dépassée pour révéler un média polychrome.

La « polychromie » des images associées à cette pratique du bug débouche sur une crise perceptive. Si l’oeuvre se construit à partir de l’ancien, cet « ancien » est aussi « relu » pour y insuffler un souffle de vie inédit : ces images réaffirment l’engagement de Gandhi comme ultra-actuel. La critique politique dialogue avec celle du conditionnement optique, emblématiques l’une et l’autre de « l’esclavage capitaliste » rappelant que le cinéma est un média dominé par la société… Perconte s’interroge : « Que sont devenues les valeurs de Gandhi aujourd'hui ? Quel monde voulons-nous construire ? » [4] L’auteur invite à ne pas oublier les préceptes de cet homme autant dirigeant politique que philosophe.

La « relecture » critique du passé devient enjeu esthétique et politique. Le potentiel plastique de la répétition est multiple et induit une catharsis méditative. L’art est-il impuissant face à la politique ? Perconte affirme le contraire en proposant de suivre les théories de Gandhi sur la non-violence. Le cinéaste s’explique : « Ce film ne donne pas de leçon, il n'explique pas, il ouvre un espace sensible et y glisse la question. »5 Ce qui justifie aussi le titre de l’oeuvre : satyagraha signifiant « étreinte de la vérité »6, principe de non-violence par la « désobéissance civile » prôné par Gandhi.

Un croisement se tisse entre engagement politique, social et plus largement humain à travers une oeuvre d’art qui interpelle. Face à l’indécision dominante et au choc du réel, le film se présente comme réflexif : il évoque l’explosion de la violence policière, l’indécision face à de telles tragédies. L’oeuvre interroge le devenir de manière multiple : le devenir des idéaux de Gandhi, leur représentation par les médias de l’époque tout comme le devenir de ces images chez le spectateur (en attaquant une perception passive). C’est pourquoi le cinéaste a choisi de finir son film sur une citation de Gandhi qui résume sa proposition d’un art politique : « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde. » 

La pratique individualiste devient un engagement emblématique. L’oeuvre élaborée au sein du Collectif Outrage et Rébellion est loin de l’« épuisement formel » et de l’impuissance dans l’action des artistes révolutionnaires7 ; il s’agit ici d’une démarche transversale, aussi épanouissante que positive. [7]

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1 Cette sous-partie a eu comme origine la communication suivante : Gabrielle REINER, « Satyagraha de Jacques Perconte : du found footage comme outil d’élaboration d’une plasticité critique des images en mouvement », communication dans le cadre de la journée d’étude Créer sans nouveauté : l’art et la politique aujourd’hui, Florian Gaité et Pauline Colonna d’Istria (dir.), Université de Paris X, Paris, 14, 28 mars et 11 avril 2011.
2 Nicole BRENEZ, « L’Objection visuelle » in, Le Cinéma critique. De l’argentique au numérique, voies et formes de l’objection visuelle, op. cit., p. 21.
3 Jacques PERCONTE, « Notes sur Satyagraha » in, Images, notes et mouvements (blog du cinéaste). [En ligne], URL :
4 Ibid.
5 Ibid.
6 Du sanskrit, स􀃗याग्रह, satya signifiant vérité et agraha, saisie.(Cf. Ibid.)
2 perception passive). C’est pourquoi le cinéaste a choisi de finir son film sur une citation de Gandhi qui résume sa proposition d’un art politique : « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde. » La pratique individualiste devient un engagement emblématique. L’oeuvre élaborée au sein du Collectif Outrage et Rébellion est loin de l’« épuisement formel » et de l’impuissance dans l’action des artistes révolutionnaires7 ; il s’agit ici d’une démarche transversale, aussi épanouissante que positive.
7 Tel le cinéaste Holger Meins, choisissant la clandestinité, devenant membre de la Fraction Armée Rouge (RAF) et abandonnant la création artistique pour mourir dans la prison de Wittlich des suites d’une grève de la faim à trente-trois ans à peine… 

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le 14 mars à  l’université Paris X,Gabrielle Reiner intervient au colloque « Créer sans nouveauté : l’art et la politique aujourd’hui ».

Satyagraha (2009) de Jacques Perconte est un film réalisé à  partir d’une pratique du found footage (terme anglais qui signifie littéralement ‟ métrage trouvé ” et désigne la récupération d’images préexistantes dans le but de fabriquer un autre film). L’oeuvre est dédicacée à  Joachim Gatti, à  l’appel immédiat de Nicole Brenez à  la suite de ce qu’on a appelé ‟ les événements de Montreuil ” de 8 juillet 2009. Ce ‟ manifeste visuel ” répond à  un évènement politique. Comment des oeuvres anciennes sont-elles réutilisées pour interroger l’actuel ?L’ancien serait-il une réponse au nouveau ? Comment Jacques Perconte réfléchit-il dans son film au devenir de la notion de création en art et comment cet art ‟ nouveau ” fait-il écho à  des évènements politiques ?

Créer sans nouveauté : l’art et la politique aujourd’hui, lundi 14, 28 mars et 11 avril de 9h00 à  12h30
Université Paris Ouest Nanterre

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Organisation : Florian Gaité (Université Paris Ouest Nanterre, Sophiapol), Pauline Colonna d’Istria (Université de Poitiers, CRHIA)
Créer sans nouveauté : l’art et la politique aujourd’hui
Ces journées d’étude ont pour vocation à  constituer un groupe de réflexion autour du devenir de la notion de création en art et en politique. 

Si le mot de création jouit sans conteste d’une actualité dans le débat public, il ne fait pour autant pas signe vers une urgence de créativité, une nécessité pour chaque époque de se créer des formes radicalement nouvelles. La ‟ thématique de la fin ”, devenue lancinante à  la fois en art et en politique, participe d’un sentiment d’épuisement formel qui semble aujourd’hui confronter les projets d’action à  l’aveu de leur impuissance. En ce sens, le diagnostic de la fin des utopies, des idéologies ou des grands récits en politique, et la proclamation de la fin des avant-gardes, et d’une ‟ ère post-historique ” de l’art nous amènent à  repenser le rapport entre création et nouveauté. Au-delà  d’une conception de la fabrication ex nihilo, devenue stérile pour penser les phénomènes contemporains, la création comme moment originel s’évalue à  nouveaux frais. Aussi, qu’est-ce que créer aujourd’hui ?

L’effacement des représentations révolutionnaires et des projets de critique radicale a profondément renouvelé la conception des formes possibles de l’action politique. Et les sociétés démocratiques modernes, complexes et globalisées, posent encore autrement la question des modalités du geste créateur. Si la figure du décideur politique en vient souvent aujourd’hui à  se confondre avec celle d’un gestionnaire avisé du présent, qu’en est-il de la possibilité de créer du nouveau ?

Les ruptures induites par l’art contemporain, la multiplication des pratiques et des lieux, des matériaux et des sujets, ont permis une prolifération de formes auxquelles l’actuel désengagement des artistes dans la recherche du nouveau semble faire écho. Depuis deux décennies s’officialise une pratique du remake et de la parodie, de la reprise et de la référence, qui fait de chaque oeuvre une sorte de postproduction. Il convient d’apprécier la pertinence du critère d’innovation dans l’art actuel. Quelle redéfinition du ‟ créateur ” peut-on en tirer ? Quel est le potentiel plastique de la répétition ?

Une approche généalogique du terme de création et de ses usages contemporains nous semble pouvoir constituer un levier critique intéressant pour interroger les dynamiques à  l’oeuvre en art et en politique. Les deux premières journées seront centrées plus spécifiquement sur un champ d’étude (l’art puis la politique) et la troisième travaillera au croisement de ces deux approches. Il s’agirait en effet de ne pas forcer d’emblée le parallèle ou le passage entre la création politique et la création artistique. Le croisement n’est pas un postulat ni un point de départ à  ces matinées ; l’intérêt étant qu’il se constitue au fil de la réflexion.


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