Jacques Perconte
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  10 mars 2017  
Dury, Pablo et Fattal, Félix , Pudeur magazine.
jacques perconte, les multiples variables.
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Recevoir l’œuvre de Jacques Perconte c’est s’interroger sur les bases d’un propos esthétique allant bâtir de nouvelles images repoussant les limites de la perception. C’est également parler du temps atmosphérique, s’attarder sur ces soleils rasants, ces pluies battantes, ces océans déchainés qui nourrissent et animent ses films. Parler de temps avec Jacques Perconte, c’est revenir sur la durée d’un processus créatif organique et continu qui envisage l’acte de créer comme un état de présence à son sujet. C’est enfin se souvenir à ce qu’est un artiste de son temps, qui use des outils de son époque pour élargir le spectre des possibles en remettant constamment en jeu les acquis du passé. 

Propos recueillis par Pablo Dury et Félix Fattal/correction Bidhan Jacobs/photogrammes extraits des films de j.perconte/portrait par Aliha Thalien

 


 Quelle est l’origine de votre démarche ?

 La question de la représentation du temps à l’intérieur de l’image est vraiment à l’origine de mon travail. Deux rencontres m’ont beaucoup marqué. D’une part, j’ai fait la connaissance à l’université de Pierre Garcia, un enseignant qui m’a énormément apporté. Il nous faisait travailler sur ce qu’il appelait le corps de l’image et l’image du corps. C’est à ce moment que j’ai commencé à comprendre la relation physique qui liait la technique et l’expression. Il a d’ailleurs écrit un bouquin extraordinaire, le métier du peintre. C’est une espèce de livre de recettes qui décrit toutes les dimensions techniques de la peinture du xiiième et du xivème siècle. L’application des recettes demande du courage ; par exemple si vous voulez faire de la colle de peau il faut faire fondre des carcasses de lapin pendant des heures et des heures. Je ne vous raconte pas l’odeur ! J’ai peu expérimenté à partir de cet ouvrage, mais cette idée de recette me passionnait. À partir de là, je me suis posé la question de la technique, pas en peinture, mais en vidéo, c’est-à-dire essayer de trouver ses spécificités.

D’autre part, je commence à découvrir deleuze, notamment l’image-temps. La question de la figure perceptible du temps à l’intérieur de l’image est quelque chose qui m’a passionné. Je me suis mis à chercher quels étaient les stigmates du temps liés à l’image numérique. Par exemple, quand on prend une photographie d’une image diffusée à la télévision, quelque chose de la télévision existe dans la matière de l’image photographique. Cette relation entre la dimension technique de l’image et le sujet est quelque chose qui me travaillait énormément. J’ai donc engagé des processus expérimentaux pour aller explorer ces questions-là, à peu près 3 ans après mes premières expériences, ce qui m’a conduit à la compression vidéo.

 Quels types de processus expérimentaux ?

À l’époque, je cherchais les formes de temps à l’intérieur de toutes les images que j’avais produites jusque-là. J’ai commencé à me rendre compte qu’il y avait quelque chose d’autre : la compression. C’était là depuis toujours, mais je ne l’avais jamais considéré comme une piste potentielle. Quand je l’ai découverte, j’étais tellement excité que je n’ai pas eu le temps d’aller tourner autre chose, c’est pourquoi j’ai modélisé des objets en 3d que j’ai tordus dans tous les sens, et animés très sommairement. L’objet n’était pas le sujet, l’important c’était la compression. À partir de la pièce wisz (2002), j’ai commencé à élaborer un vocabulaire.

 Qu’avez-vous trouvé avec la compression vidéo ?

Avec la compression vidéo, j’ai compris qu’existait une matérialité spécifique à l’image animée numérique. Cette matérialité ne provient ni de la captation de l’image, ni de l’écran qui la visualise, ni de la photographie. C’est quelque chose qui est particulier à la réalité de l’image en tant qu’information numérique. L’informatique intervient sur l’image pour qu’elle soit plus facilement exploitable dans un ordinateur et ça a des conséquences esthétiques. Ces conséquences sont le point de départ de mon travail.

À ce moment-là, qu’en est-il de la dimension sonore et musicale ?

On trouve quelques pièces sonores dans mon travail entre 1997 et 2002. C’est l’époque où je découvre la scène électronique et tente de tisser des collaborations avec d’autres musiciens dont j’aimais le travail. Ainsi j’ai fait plusieurs grands projets comme phex, Matre Zias ou les corps numériques qui étaient montrés avec de la musique live. 

La fiction ne vous a jamais attirée ?

J’ai fait de la fiction après le lycée. Il y a eu trois courts métrages et sable, un moyen métrage. Étonnamment, ils comprennent très peu d’expérimentations plastiques. Ensuite, j’ai entamé Chloé, un projet de long métrage produit par jan kounen. Mais à la suite du tournage, il s’est rendu compte que mon film n’était pas un film classique, mais un film d’art plastique. Il ne savait plus comment m’accompagner et s’est donc retiré du projet. Aujourd’hui, ce film pourrait se monter à la maison, mais pas en 1999. Pendant un ou deux ans, j’ai eu envie de le finir et puis finalement je suis passé à autre chose. C’est amusant de faire de la fiction, mais ça engage des dispositifs trop lourds pour moi. J’ai mis longtemps à accepter le fait d’avoir arrêté ce film et assumer ce choix de prendre un autre chemin.

Pendant longtemps, il y eut pour moi une incompatibilité entre art plastique et cinéma. Aujourd’hui, je concilie les deux. Je ne fais pas de fiction, mais je fais du cinéma. Par exemple, ettrick, mon dernier film en 2015, remet en cause les partitions et catégories traditionnelles. Il a été déprogrammé des sections expérimentales pour passer dans des sections documentaires. Mes films poussent de plus en plus la dimension expérimentale vers une « narration » du réel ; d’ailleurs, mon dernier film a été officiellement produit comme un documentaire.

À quel moment commencez-vous à tourner vos propres images ?

J’ai commencé à tourner avec des modèles dans la perspective d’un travail sur le corps. Je cherchais quelque chose de physique dans le physique. Pour moi la peau, les volumes du corps, le mouvement étaient des éléments très importants. J’ai abandonné ce processus, car j’avais un rapport trop intense avec mes sujets. Mes pièces n’étaient pas assez délicates, trop violentes. J’avais envie de changer radicalement ma perception de la vie et mon sens du monde. J’avais besoin d’ouvrir un espace, d’engager de l’énergie dans une autre voie. J’ai eu cette tentation de reprendre la main sur les problématiques fondamentales de mon travail, de revenir à cette question de la technique, mais je me dispersais. Je devais refondre ma démarche de manière posée et didactique. C’est en 2003 que j’ai opéré une grande transition sur le paysage. J’ai donc réalisé uaoen, un film ultra didactique : on part d’une image de mini dv très « neutre », d’une route défilant, on entre progressivement à l’intérieur de l’image. Le film avait une base très théorique au sens où il questionnait la représentation symbolique de la perspective. Mais les images de ce film ont été prises par un ami et j’ai compris ensuite que je devais tourner mes propres images.

 Qu’est-ce qui manquait ?

Ce n’est pas qu’il manquait quoi que ce soit. Je voulais y participer. Je me suis rendu compte à quel point le cœur de mon travail venait de la réalité des images de départ.

Qu’est-ce que vous cherchez lors de vos phases de tournage ?

C’est littéralement le sujet de mon prochain film. Qu’est ce que je cherche quand je vais faire un film ? Que se passe-t-il quand je vais quelque part, que j’ai ma caméra et que je commence à capter les choses ? C’est intéressant de constater que ce virage vers le paysage coïncide avec la rencontre de ma compagne actuelle qui est prof de yoga. Elle a commencé à ouvrir des voies spirituelles auxquelles j’ai pas mal résisté au début en bon pragmatique du sud-ouest ! Mais ça s’est mis à résonner de plus en plus dans mon travail. Quand je vais tourner, quelque chose relève de la connexion. Par exemple, il n’y a pas véritablement de choix de cadrages, c’est une question de sensation. Deux éléments entrent en jeu : ma culture et la façon dont je suis dans la situation. Souvent je ne suis pas pleinement conscient de mes cadres au tournage.

L’idée c’est de ne pas calculer les choses, mais de les laisser venir. Je peux prévoir le mouvement, le jour, mais jamais la réalité de la situation. C’est très important de laisser les choses se faire. Si j’ai prévu de filmer un soleil et qu’en fait il pleut, pourquoi revenir le lendemain ? Pourquoi ne pas accepter le fait qu’il pleuve ? Par exemple, je n’ai pas voulu faire chuva. Un orage arrivait et je me suis dit, il faut que je filme. Très vite l’image s’est complètement voilée et on ne voyait plus rien. L’appareil était bien au-delà de ce qu’il peut gérer en termes de niveau de gris donc ça grésille, ça frétille, ça moire… j’aime jouer avec ces insuffisances, faire rentrer la caméra en résistance. Souvent je choisis un phénomène, je déclenche la caméra et je laisse filer l’enregistrement. Tu ne peux pas dicter à la nature ce qu’elle doit faire. À Hollywood, pour obtenir ce qu’ils veulent, ils mettent des moyens phénoménaux, mais ça n’a aucun lien avec la nature. Pour moi, qui souhaite garder un lien très fort avec elle, s’il y a une seule méthode c’est bien ça : accepter ce qu’il se passe contre ce que j’aimerais qu’il se passe.

En suivant cette méthode, peut-on rater son tournage ?

Non. Par exemple, je suis allé plusieurs fois au havre faire des images, et à chaque fois il ne faisait pas beau. Beaucoup de gens auraient considéré avoir des images ratées, pas moi. Évidemment, ces images ne sont pas très saturées, mais, en soi, avec le numérique, même le gris est chargé en couleur ; en effet, avec les capteurs rvb, le noir et blanc n’existe pas : il ne peut être que simulé. Par ailleurs, il est extrêmement rare d’avoir exactement les mêmes couleurs sur toutes les cellules de son capteur, il y a donc toujours quelque chose à exploiter. 

Cette méthode semble dépasser le cadre d’un simple tournage de cinéma… 

Je ne suis jamais dans mon projet de film, je suis complètement dans la situation présente. Pour y parvenir, le seul moyen consiste à ne pas se poser de question, refuser d’aller à la chasse aux images, abandonner toute pression, lâcher prise pour pouvoir se connecter aux choses. Ce qui n’est pas toujours évident quand tu te trimballes 30 kg de matériel sous la pluie ! Je parle de spiritualité, car il ne s’agit pas de contempler béatement, il faut entrer dans un état de présence. Cette question de la présence à une situation relève véritablement de la spiritualité. C’est une projection de soi, on se connecte à l’univers. Cela demande de se placer dans une certaine disposition mentale. On n’est pas en train de maitriser le monde dans sa tête et essayer de se positionner par rapport à ça. À l’inverse, on se rend disponible pour que les choses puissent advenir.

Je me suis longtemps demandé pourquoi mes images de nature conservaient tant de force malgré les transformations que j’opère dans mes films. Qu’est-ce qui persiste ? Est-ce seulement la puissance de l’image ? L’idée de mon prochain film c’est justement d’aller se poser cette question de manière littérale. Est-ce qu’il y a quelque chose d’autre qui est ramené de la nature ? Quelque chose d’impalpable ? De magique ? Je ne sais pas… c’est pourquoi j’ai décidé de travailler avec un alchimiste sur ce projet.

Comment se passe la collaboration ?

Nous pensons travailler à partir de l’énergie de la terre, du magnétisme, tous ces éléments présents, mais invisibles qui influencent énormément notre comportement afin de capter cet « autre chose ». Tout ça dans un rapport intime à l’Islande, un paysage qui regorge d’images tellement déjà vues que je n’ai pas envie de reproduire.

Faites-vous des repérages ?

Ça dépend des conditions. Beaucoup de mes pièces sont faites dans l’urgence. Par exemple, je suis dans le train et le soleil se met à taper sur une vitre sale. Le résultat est hyper beau donc j’attrape ce que j’ai sous la main pour filmer. Dans d’autres situations, je pars tourner pendant une semaine dans un même lieu. Là je vais être au calme et je vais pouvoir aller à mon rythme. Mais j’ai mis du temps à procéder de cette manière, le premier film que j’ai fait comme ça c’est impressions en 2012.

Combien de temps peut prendre une prise ?

Généralement je fais des prises de 5 à 25 minutes, parfois jusqu’à une heure. En revanche, je fais plusieurs prises. Sur certains tournages, je peux quasiment aller tous les jours filmer le même endroit. Je n’attends pas qu’il se passe quelque chose, c’est juste tout le temps différent. Cependant, certains lieux suscitent des obsessions : depuis ettrick, j’ai une passion pour les paysages écossais. Maintenant j’ai tout le temps envie d’aller en Ecosse pour faire des images.

Y retournez-vous pour les paysages ou pour les potentialités de manipulation qu’ils représentent ?

Ce n’est jamais pour les potentialités. Si je retourne sur un lieu, c’est parce qu’il y a une force là-bas que je n’ai pas encore réussi à saisir. Souvent, lorsqu’au début du tournage les plans me plaisent, c’est le début d’une aventure. Dans mon travail, le plus précieux est mes rushs. Les films finis, j’y fais attention, mais si j’en perdais un je pense que je ne serais pas trop malheureux. Par contre, mes rushs…

 Vous arrive-t-il de reprendre d’anciennes images ?

Oui, car à force de naviguer entre les salles de cinéma et les espaces d’exposition, je produis beaucoup de pièces. Il arrive donc régulièrement que je remploie certains rushs. Par exemple j’ai une séquence que j’ai filmée au-dessus des Alpes en avion : j’en fais une pièce environ tous les ans.

Y a-t-il une manipulation dès le tournage ?

La question est plus théorique que technique. L’image est manipulée dès que l’on utilise une caméra. Le système de la prise de vue implique un ensemble de processus qui interprète ce que doit être une image : dès que l’image est enregistrée, elle n’est plus du tout la réalité. À ce moment-là, oui, il y a une manipulation, mais elle n’est pas de mon fait. Par contre, à la différence de beaucoup aujourd’hui, je ne tourne pas en raw. Je déteste cette idée de faire une image neutre qu’on va exploiter en post-production. Il est crucial pour moi de faire des choix au tournage. J’ai toujours choisi des outils qui ont un fort impact sur ce que je filme au départ. Le format natif, la qualité des optiques, la particularité de la caméra : je choisis une caméra pour ce qu’elle est capable de faire, pas pour le potentiel qu’elle représente. J’attends d’une caméra qu’elle ait une réponse.

Quand est ce que débute le montage ?

Dès que j’entame le tournage, je commence à travailler les images avec mon ordinateur portable. Du coup, quand je rentre de tournage, je continue ce que j’ai ébauché. Quand j’aime une séquence, je commence à chercher des compressions vidéo. Ensuite je les fais passer dans une matrice de pièce générative. Cela permet d’explorer le plan et la compression vidéo en passant d’un point à un autre de manière autonome. Souvent, dans mon bureau, une pièce générative tourne sur grand écran pendant que je fais autre chose. J’assemble toutes mes trouvailles pour un projet d’installation vidéo, elles deviennent également le matériau de base du live afférent. À un moment, ce travail de recherche sur ces images va atteindre la maturité suffisante pour envisager un film. Généralement, c’est un long processus.

Je travaille de façon assez classique, je passe toujours par un ours, un bout à bout sur une timeline et je regarde comment ils fonctionnent. Ensuite, je me concentre sur des morceaux : à ce moment — là je quitte les logiciels de montage et je colle physiquement les fichiers entre eux jusqu’à ce qu’ils ne forment plus qu’un. J’opère plusieurs allers-retours entre ces deux étapes pour trouver le film par expérimentations successives. J’aime beaucoup revenir sur les choses, c’est du bricolage. Faire des choses, regarder, affiner. C’est radical ce que je fais, ça détruit beaucoup les images. Du coup souvent à une image près ça peut être très différent. Au final je suis plutôt long à finaliser une œuvre, car j’ai vraiment besoin de ne plus avoir envie d’y revenir. Il arrive même souvent que j’utilise une projection en festival pour voir où j’en suis.

Quelle est la spécificité du live ?

Avec jean-benoît Dunckel on s’écoute, comme dans n’importe quel groupe de musique. C’est parce qu’on a l’habitude de jouer ensemble qu’une certaine facilité s’installe. Mes outils ressemblent à des instruments de musique. J’ai mes notes, ensuite quand je les joue, j’en fais ce que je veux. C’est pourquoi il n’y a pas deux hypersoleil identiques. Bien entendu, ils ont les mêmes images d’origine. Mais elles ne se ressemblent pas : un coup ça pourra être tout bleu, un coup ce sera tout rouge 

À quoi ressemblent vos instruments ?

Techniquement je n’ajoute rien aux effets de compression vidéo. Je me suis créé une interface de « super lecteur video » sur max/msp me permettant de travailler des boucles, de sauter d’un endroit à un autre. Cela aboutit à une sorte de partition qui me donne accès à tous les points de montage. À partir de là je maitrise les choses : je peux faire des boucles, choisir leur durée, créer des échos, générer de la couleur… en réalité tout vient de la manipulation de la lecture de la vidéo. Quand j’étais un peu « roots » au début, je faisais même des performances uniquement avec quicktime player ! C’était très impressionnant pour les gens, je lançais mon quicktime puis je jouais seulement avec les raccourcis clavier pour naviguer à l’aveugle dans un fichier. C’était un peu limité comme potentiel d’exploitation, mais aujourd’hui je fais exactement la même chose avec max/msp. La maitrise est liée à l’habitude, à la connaissance que j’ai de mes outils. Comme je les ai fabriqués et que je les perfectionne en permanence, je les connais très bien. Ensuite, c’est juste une question d’entraînement.

Quel niveau de précision permettent-ils d’atteindre ?

Une image ce n’est que des mathématiques qui vont interpréter les mouvements dans le plan. C’est ce qui permet d’être hyper précis quand je coince une structure dans l’image. Ce qui m’intéresse c’est que dans un seul plan il y a énormément de dimensions temporelles. Dès qu’on les met en mouvement tout n’est pas structuré de la même manière dans le temps : des zones restent longtemps fixes, certaines sont animées de temps en temps, d’autres toujours fluides. À partir de ce constat, j’explore mes rushs image par image et je finis par savoir exactement comment chacune fonctionne, savoir précisément ce qu’il se passe et à quel moment. Par exemple, dans hypersoleils, je sais que lorsque le soleil tape à travers la vitre j’ai des structures qui creusent l’image en strate, ce qui offre beaucoup de liberté d’invention visuelle.

Utilisez-vous le même procédé pour vos films ?

Pendant mes expositions, mes pièces génératives tournent avec des applications max/msp. Sur mes films, je préfère généralement programmer en « ruby » ou en « python » pour que ce soit beaucoup plus carré. Je rajoute également du compositing pour mélanger différentes compressions de la même image. Si vous voulez rentrer vraiment dans la technique dans mon travail, il faut lire la thèse de bidhan jacobs qui y consacre 250 pages.

Comment construisez-vous l’évolution du film ?

J’oriente ma direction en fonction de ce que le plan contient. Tout d’abord, je regarde l’image, je cherche ce qu’elle a d’intéressant. C’est la raison pour laquelle je ne fais pas attention à tout ce qui rentre en contact avec la caméra, si je mets un coup de pied dedans ce n’est pas grave. Il m’arrive même parfois de mettre le stabilisateur en sachant que ça va sauter dans tous les sens… je joue avec ce qui est en train de se passer pour qu’il y ait une relation très forte avec la nature du mouvement. C’est elle qui entraine toute la plasticité, je dois y faire très attention au tournage. Enfin à partir de ce mouvement je scénarise, j’organise les images dans le temps.

De l’image peut-il naitre un désir d’expérimentations techniques ?

Oui si je sens que l’image a une direction, une dynamique, je vais effectivement voir comment aller la chercher. Ceci dit, chaque image a un potentiel. Impression est un film assez magistral en terme technique, au départ j’avais plein d’images très pauvres. Par exemple, il y a ce plan tout blanc avec un petit buisson rosâtre qui se détache… ce rush-là, je pense que personne ne l’aurait utilisé, il n’y a pas un poil de lumière, tout est gris, le buisson bouge à peine. Mais comme il se dégage d’un monochrome, il devient le seul mouvement visible à l’écran, il prend d’un coup beaucoup d’importance ! L’idée c’est d’apprendre à ne pas faire de hiérarchie entre « bien » et « pas terrible », j’essaye de trouver la force qui réside en chaque image.

La manipulation est-elle là pour révéler cette force ?

Exactement, elle sert à raconter la relation entre la technique et la force. La technique est en présence, c’est l’image. Dans mes films on se rend compte de l’image, elle manifeste sa propre matérialité. On passe constamment de cette prise de conscience de l’image à la vision du sujet. Malgré tout, ce sujet est complètement symbolique, recréé dans notre esprit. En réalité il n’y a rien de reconnaissable qui bouge dans l’image, ce n’est qu’un amas de pixel. C’est un jeu de perception assez magique. Il est pour moi très important d’avoir conscience des images, conscience qu’on est en train d’assister à quelque chose qui relève de l’image et pas d’une expérience de la nature. Mes films ne chantent pas une écologie étroite. On est dans la technologie pure et dure, la nature n’est pas là, si on veut la voir il faut sortir.

Ce qui va nous relier à elle c’est qu’on la sent. Mais on n’est pas en train de la contempler comme un paysage délicat complètement épuisé par la représentation cinématographique et photographique. Ces paysages sont très beaux, mais ils ne sont absolument pas là, ils ne sont rien d’autre qu’une évocation intellectuelle qui renvoie à la boucle culturelle qu’on développe quand on est en train de le percevoir. Moi j’essaye de travailler une autre boucle : on va reconnaitre la nature, sa puissance, car elle a une façon de bouger qui ne relève pas des mathématiques. Mais on ne la reconnait pas en tant que phénomène d’une beauté spécifique. L’expérience qu’on a dans la salle de cinéma face à l’écran n’est qu’un écran et une salle de cinéma, rien d’autre.

la diffusion internet ne vous dérange pas ?

Non parce que je pense que les gens comprennent que ce n’est pas pareil. Quand ils font l’expérience des images en projection ils se rendent compte de la différence. Le jour où vous verrez un de mes films au cinéma, vous comprendrez, la présence de l’image est très forte, elle attaque les yeux d’une autre manière.

Mettre vos œuvres gratuitement sur internet…

Je suis pour le partage, c’est à la fois une question politique et une question d’éducation. Les gens comprennent que ça n’a rien à voir de faire l’expérience de mes films sur internet et au cinéma. J’ai vraiment construit ma pratique avec internet, dès le début j’ai mis mon travail en ligne et en partage. C’est important pour moi de pouvoir partager. •

 

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