Comme le suggère l’historien de l’art Abraham M. Hammacher dans son livre Être la montagne, le secret d'une expérience intérieure1, c’est une part intime de l’expérience qui se joue dans notre rapport à la montagne. Les notes qui suivent confirmeront le lien indéfectible qui unit la représentation de la montagne dans les films à des questions humaines. Pour meilleur exemple peut-être, le plan final de 13 Lakes (2004) de James Benning, où la montagne, entre ciel et eau, prend les allures d’un test de Rorschach. Comme le cinéma ne cesse de nous le rappeler, la montagne cependant n’est pas à échelle humaine. Lorsqu’elle est filmée de loin pour en saisir toute la grandeur et la majesté, l’humain est réduit à un point insignifiant ; filmée de près pour mieux voir ceux qui l’habitent ou en gravissent les pentes, elle perd les formes qui la caractérisent. Fondée sur un temps minéral et géologique, la montagne n’est pas davantage à l’échelle du temps humain. Il s’agit pour le cinéma d’un motif contrariant et contrarié, souvent relégué pour ces raisons au rang de toile de fond, mais dont la concurrence avec le motif humain semble précisément orienter et intéresser le travail de nombreux cinéastes.
[...]
Jacques Perconte en 2014, dans les séries Puys et Alpi, donne à voir sur un autre mode les puissances telluriques par une série d’abstractions : les montagnes apparaissent dans d’infinies variations colorées, elles semblent animées d’une vie propre, démenti de l’image numérique comme fixité morbide ; une vue d’avion sur la chaîne des Alpes donne accès, dans la stupeur et le tremblement, aux strates géologiques et temporelles accumulées, tel un relevé sismographique, révélant dans cette réunion du macro et du micro l’oeuvre toujours en cours de la géognose. À l’échelle des polarités moléculaires correspond l’échelle du temps minéral, pour aboutir à une conception historique de la montagne, ainsi que la formulait Elisée Reclus : « La montagne résume en elle toutes les révolutions géologiques. (…) L’histoire de la montagne est celle de la planète elle-même ; c’est une destruction incessante, un renouvellement sans fin. »