Jacques Perconte
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029
  16 octobre 2015  
Blin, Carmen, Les Jeudis Arty.
Notre rencontre avec Jacques Perconte
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Cinéaste et plasticien généreux,  Jacques Perconte,  nous a accordé un long entretien à l’occasion de l’ouverture de son exposition Horizons à la galerie Charlot. Entre sensibilité et technicité, l’artiste nous guide à travers ses recherches sur la matière digitale. Une expérience totalement immersive. 

Pouvez-vous nous dévoiler une partie de ce qui nous attend à votre prochaine exposition à la galerie Charlot ?

Dans cette exposition, j’ai voulu faire quelque chose de nouveau. D’habitude je présente des expositions plus thématiques, géo localisées. […] J’avais envie de faire une exposition qui revienne plus sur ma manière de travailler, sur ce qu’il y a de particulier dans mon travail, et faire écho au début de mes recherches sur le paysage. Je voulais passer de quelque chose qui était le produit de l’outil, à quelque chose qui était le produit de mon écriture. De quelque chose qui cachait la réalité de ce qui était fabriqué par la machine, puisque c’était symbolique dans le résultat, à quelque chose qui est la réalité de ce que produit la machine, à savoir les mouvements mathématiques. « Horizons » pose la question de ce travail là, la disparition d’une perspective symbolique, et le jeu qu’il peut y avoir entre la physicalité de l’écran et la représentation, la figuration, de ce qui a été filmé. Toutes les pièces seront là pour raconter ça. Donc les pièces explosent les films. On va assister image par image aux infra mouvements mathématiques à l’intérieur des images du paysage. Ce sont des pièces vraiment calmes, douces, qui font raisonner deux plasticités différentes. Des choses assez floues, comme des gouttes d’eau, de l’écume, qui vont être mélangées avec des blocs de pixels aux couleurs extrêmement saturées, qui a priori n’auraient absolument pas leur place dans cette image, mais qui sont là naturellement, entre guillemets. C’est une exposition beaucoup plus colorée que ce que je fais d’habitude. C’est assez difficile à imaginer, mais les couleurs sont assez puissantes, très fortes. 

Quels dispositifs allez-vous utiliser pour les présenter ? 

Surprise ! Un peu tous les formats.

Vos œuvres peuvent parfois renvoyer aux impressionnistes. Cela peut-il s’expliquer par votre rapport à la nature ?

Je n’essaye pas de raconter la nature dans mon travail. J’essaye de la ramener pour la sublimer. […]  L’image, c’est les traces, d’un bout de nature, de corps, de forme. Il y a un déséquilibre qui se produit, qui est très fort, entre quelque chose qui appartient à un passé, qui a été filmé, comme une sorte de document. Et quelque chose qui est réel, qui est la distorsion de l’image, et son explosion. A aucun moment, je n’ai la volonté de détruire - même si je l’utilise dans mon vocabulaire - d’insulter, malmener les images, de les trouver vulgaires. Au contraire. Je veux les sublimer, montrer qu’on peut les voir d’une façon incroyable. Et c’est là que je suis hyper proche de l’Impressionnisme, ou même, avant l’Impressionnisme, de Turner; car je me sens aussi proche de Turner que de Monet, peut-être plus de Turner même. […] Mes problématiques sont similaires, et en fait on a des techniques qui peuvent être très proches, car j’utilise la technique pour exprimer la lumière, la couleur et les formes. […] La différence, c’est que moi je détourne, et pas lui. Une de nos similarités, c’est qu’ils affirment la matérialité de la peinture. Et moi j’affirme la matérialité du digital, du numérique. Eux ils me touchent énormément parce qu’ils me montrent des images qui s’affirment en tant qu’images, et pas des images qui s’affirment en tant que nature, qui veulent nous faire croire que les choses sont là.

La transmission joue un rôle primordial dans la formation de vos images…

Je  transmets une énergie, des sensations, des choses très abstraites mais qui relèvent des expressions et des sentiments. Mon film Impressions (2012) pose cette question du rapport à l’expérience esthétique d’une façon générale. Et je ne veux pas montrer des images comme des temps politiques parce qu’elles détruisent d’autres images ou manifester une posture politique qui serait révolutionnaire en faisant du bruit. Je suis persuadé que pour transformer les choses il ne faut pas simplement faire de bruit. C'est-à-dire que le bruit, c’est ce qu’on essaye d’éliminer en général. Les lois informatiques sont basées sur la tentative d’élimination des bruits. Du coup, faire du bruit, c’est produire ce que l’on va essayer d’éliminer. Il faut trouver comment signal et bruit peuvent être indissociables. Et puis surtout, ne faire que du bruit, c’est rester dans la marginalité. Je ne veux pas rester dans le marginal. Je veux que mes images soient populaires, accessibles. Je me suis rendu compte de ça dans une projection, en 2002 je crois, où 3-4 de mes films étaient diffusés à la suite dans un cinéma et les gens en prenaient plein la figure. C’était super violent, c’était noir (rires), c’était terrible. Je voyais les gens, les adultes qui voulaient s’échapper. Je me suis dit que je n’avais pas envie de faire ça. Et à partir de là j’ai arrêté complètement de faire ce que je faisais pour me pencher sur le paysage. Je ne veux pas manifester la destruction, ni du pop, ni du cynisme. Je ne veux pas manifester quelque chose qui se dit libre parce qu’il détruit, qu’il refuse. Je ne veux pas séparer les gens des uns des autres. Il y a de très bonnes intentions derrière.

Est-ce vrai dans votre travail cinématographique comme dans celui de plasticien ?

Il y a deux dimensions à ma pratique : une pratique à destination du cinéma et une autre à destination de l’espace public, des galeries, qui font partie des arts plastiques. Les intentions y restent les mêmes, bien qu’elles ne soient pas formulées de la même manière. Au cinéma, on a un début et une fin, on raconte une histoire. Même mes films les plus abstraits le font au cinéma. Alors qu’en galerie, on est plus sur des explorations de la temporalité. C’est plus conceptuel d’une certaine manière. Mais je cherche vraiment à relier, d’une certaine façon. Quand les gens découvrent un peu plus mon travail, ils sont toujours impressionnés de voir que le plus important c’est le tournage. Et ce qui se passe après, c’est très technique. Tout se passe quand je filme. Hier j’étais en tournage; je travaille avec une psychanalyste. Elle s’est rendu compte que c’est ce que je filmais qui allait produire tout. De filmer il se passe des choses plastiquement qui vont être génératrices d’une transformation plastique potentielle. Le tout ce n’est pas d’appliquer un effet à une image, c’est d’engager tout un ensemble de processus pour qu’il puisse se passer quelque chose à la fin.

Le plus dur ce n’est donc pas le travail avec la matière numérique ? 

Non c’est le plus facile ça ! C’est hyper facile, mais c’est long. Le plus dur, c’est de filmer comme il faut. Ça ne veut pas dire comme il est prévu que l’on filme, mais ça veut dire donner suffisamment de temps à un phénomène météorologique par exemple. De se dire "tiens là, on n'y voit rien, mais il y a peut-être quelque chose". C’est le cas dans un de mes films pour le cinéma, qui est en distribution libre, complètement gratuit, qui s’appelle Chuva (2012). Lors de ce tournage, on arrive juste à Madère, on s’installe à l’hôtel. L’horizon commence à se brouiller un tout petit peu, il va commencer à pleuvoir, alors je prends ma caméra et je la pose sur le balcon. Je déballe mes bagages, tout ça. Je regarde de temps en temps et je vois que c’est très noir. Je me dis que ce n’est pas grave. J’ai laissé tourner la caméra. Et après, quand j’ai vu ça, la caméra avait fait tout ce qu’elle avait pu pour essayer de filmer ce truc-là. D’affirmer ce qui se passait. Il y avait énormément de choses potentielles dans l’image, et j’ai fait un film sublime avec ça. Ce n'est pas parce qu’on ne voit pas, que la caméra ne va pas faire quelque chose. Et du coup même quand elle n’y arrive pas, elle ouvre des portes vers des choses merveilleuses. Ce n’est qu’un exemple, mais j’ai beaucoup appris des caméras.

Comment a évolué votre rapport à cette matière numérique, qui est toujours en évolution ?

C’est un aller retour constant. Dans les années 90 j’avais un appareil photo numérique, un des premiers, que j’avais donc payé une fortune. Il faisait des photos catastrophiques. Jusqu’au jour où je me suis demandé pourquoi j’essayais de lui faire faire des photos comme un appareil argentique. J’ai commencé à aller là où il arrivait à faire des trucs marrants, un peu spéciaux. C’est toujours aller dans une relation avec l’appareil et faire des choses qui vont être unique, puisque sa manière de détourner les choses est unique. Et je teste. Des fois ça marche, des fois ça ne marche pas. Mais je le fais beaucoup. Hier, j’étais sur les Hortillonnages [à Amiens] en bateau, on glissait sur l’eau. A un moment donné, on passe dans un endroit assez sombre et puis au bout il y avait le soleil qui était très fort. J’aurais pu décider de fermer mon optique pour faire entrer moins de lumière et ne pas brûler l’image lorsque j’allais arriver dans le soleil. Mais j’ai laissé le truc ouvert. Et parce que je l’ai laissé ouvert quand on est arrivé juste à ce moment là, où l’image commençait à être complètement brûlée, il y a un héron qui s’est envolé. C’était super beau. Si je l’avais filmé normalement, on aurait eu une image de héron qui s’envole tout à fait naturelle. Alors que là, on a un truc incroyable. J’ai une relation très forte avec la fabrication de l’image/des choses.

Quelle est l’idée derrière tout ça, que vous voulez transmettre au spectateur ?

J’ai cette histoire d’un collectionneur qui m’a acheté une pièce générative sur l’Ardèche, qui est très hyper réaliste. Souvent il se met devant, la regarde et puis pendant 10, 15, 20 min, cette pièce produit des images très abstraites, empreintes d’une grande force, mais ça ne vient pas. Et il se lève, et quand il se lève ça change. Il se rend compte alors, qu’il n’y a pas de spectacle. La pièce ne se donne pas. C’est donc cette question du lâcher prise, par rapport à l’envie d’avoir un résultat, à l’envie que quelque chose se passe. Et il l’adore, parce que se construit une relation particulière riche et comme dans la nature, les surprises sont merveilleuses… Il y a une série que je fais depuis quelques années sur les Alpes, qui est hyper calme. A chaque fois que je l’ai montrée en galerie, les gens ne la voient pas, car il n’y a pas grand-chose qui se passe. Mais quand ils passent plus de temps dans la pièce, ils se rendent compte de la puissance plastique qu’elle a, qui est complètement incroyable.

D’où vous est venue cette volonté de travailler la relation du spectateur avec l’œuvre ?

Quand j’ai commencé à faire des expos de pièces vidéo en galerie – au début de ma collaboration avec la Galerie Charlot en fait-, il y a avait vraiment cette histoire très forte pour moi, de savoir ce qui se passait pour moi quand je suis là. J’ai construit ces images, toutes ces pièces génératives dans la perspective que l’on ait un truc ouvert, qui ne produit pas de spectacle. Ce  n’est pas immédiat. Ce sont des oeuvres avec lesquelles on va engager une relation. Parfois, la plasticité est tellement concentrée que l’on n’y voit rien. On est toujours en train de découvrir, car on n’a jamais vu. Je souhaite donner des choses où il y a une puissance esthétique qui va se construire au fur et à mesure de la relation.

Est-ce que cette prise de conscience vient de ce que vous avez appris en filmant le paysage ?

Oui surement, mais aussi du chemin que je fais depuis une dizaine d’années avec le yoga, avec la spiritualité. Et toute la réflexion que je peux faire sur la société, sur l’enseignement que je peux donner, qui est vraiment liée à cette question de la présence. La présence qui veut dire ne pas attendre, ne pas réfléchir à ce qui vient de se passer et sur ce qui va se passer après.  Je n’aime pas l’immédiateté et les œuvres qui se terminent tout de suite. Celles qui ne nécessitent pas que l’on construise une boucle, d’aller-retour, pour la découvrir, que ce soit quelque chose de riche. Il y a dans mon travail quelque chose lié à l’inefficacité des pièces. Pour les pièces génératives il y a quelque chose de très important, c’est que ce sont des pièces en tension. On est en train d’assister au dysfonctionnement. Les pièces que je vends ont un programme qui surveille que cela ne plante pas (rires). Et si ça plante, ça la relance. On est dans la manifestation de l’accident.

C’est donc un processus de très organique ?

C’est le résultat qui est organique. C’est mathématique. La machine ne se rend pas compte qu’elle est en train de mal faire.  Je suis toujours épaté de ne pas planter pendant les concerts, où je fais buguer des vidéos de manière extrêmement virulente. Je suis toujours étonné que ça fonctionne, parce que ça ne devrait pas, c’est quelque chose qui n’est pas du tout maîtrisé. Je suis dans du détournement, maîtrisé plastiquement et techniquement, mais pas à la manière d’un ingénieur. C’est comme si je tenais quelqu’un au dessus du vide en connaissant son point d’équilibre. Et donc je le pousse fort, et je sais jusqu’où je peux pousser. C’est une peu ça les performances

On rejoint toujours la question des limites…

Oui, et je suis persuadé que la force plastique vient de là. Comme quand on voit des choses qui sont à la limite du visible, qu’on arrive à peine à voir. Quelquefois il y a des côtés incroyables qui se manifestent à ce moment là. Moi je suis à l’aise avec ce côté de pousser les choses. La plasticité de mes images provient de cette énergie très forte qui pousse les images à sortir d’elles-mêmes.

LES 3 CHOSES QUE VOUS NE SAVEZ PAS ENCORE...

Quel est votre processus créatif ? La manière dont vous travaillez ?

La manière dont ça vient, c’est soit on m’invite quelque part pour que je me pose une question sur le paysage, comme c’est le cas pour ce sur quoi je travaille en ce moment. J’ai rencontré une femme dans une retraite bouddhiste, puis elle m’a invité pour une exposition. Elle habite dans les Hortillonnages à Amiens. J’y suis allé. J’ai trouvé ça très beau. Elle a donc eu envie de m’aider pour que l’on fasse un projet ensemble là bas. Sinon, c’est moi qui ai un désir brûlant d’aller réaliser un travail quelque part. Ou alors on m’invite dans un festival. J’emmène ma caméra et je peux perdre le festival de vue, mais je reste 10 jours de plus à filmer. J’ai détourné des festivals comme ça, qui se sont retrouvés coproducteurs de pièces, alors qu’ils ne l’ont pas du tout prévu. C’est assez amusant. C’est avant tout une rencontre avec un territoire, avec mon matériel, avec ma caméra. Je n’en ai pas une, j’en ai plein. Une principale par période, puis plein d’autres petits appareils que je trimballe. Et je vais filmer. C’est toujours une lutte avec le temps, parce que c’est beau quand on ne filme pas et dès que l’on film ça change (rires). C’est assez drôle.

Quel artiste rêveriez-vous de rencontrer ?

Les gens avec qui j’aimerais beaucoup discuter ce sont plutôt des cinéastes. J’ai commencé à écrire une lettre, que je n’ai toujours pas envoyée, à Wim Wenders. Le point de départ de Wim Wenders me fascine. Il a écrit un petit livre qui s’appelle La logique  des images, qui n’est pas assez lu. On a, pour moi, en commun, une lutte phénoménale entre le désir de faire des images et la nécessité de raconter des histoires. Et on le fait d’une façon très différente. Et hyper souvent il revient, il dit des choses, il fait des films, il manifeste des réflexions, qui sont quasiment les mêmes que celles que j’ai. Mais on est à des années lumières plastiquement et cinématographiquement. J’aimerais faire quelque chose avec lui. Mais pour ça il faut que je lui demande.

Ah si ! Il y a Véra Molnar. Je lui ai écrit une lettre d’amour, que je ne lui ai jamais envoyée, mais qui a été publiée par la revue La Furia Umana, c’est assez drôle. Elle porte un enseignement hyper important dans son travail. Tout ce que je défends, elle le fait dans son travail depuis les années 60. C’est l’artiste majeure de l’histoire de l’informatique en art. Ça a été important quand je l’ai découverte, j’ai reconnu un truc. Les sources d’inspirations, on reconnaît quelque chose. Quelque chose qui est là et on ne sait pas le rendre explicite et tout d’un coup, ça nous donne les moyens de le produire, de l’ancrer quelque part.

Où peut-on vous croiser lorsque vous ne travaillez pas ?

Chez moi. Dans mon quartier, le XXe. De temps en temps à la Galerie Charlot…  Je bouge beaucoup. Au cours de yoga, même si l’année dernière je n’y ai pas mis les pieds (123yoga.net). Je reprends cette année. Mais, je pense que c’est surtout à l’école d’art où j’enseigne, à Chalon-sur-Saône que l’on peut facilement me croiser. Quelque part c’est le moment où j’arrête le temps. Déjà c’est une ville bien plus calme que Paris, et surtout j’y vais pour être disponible, pour les gens avec qui je travaille là-bas, les étudiants, c’est magique. Du coup c’est l’endroit le plus facile pour me rencontrer au calme. Mais je suis quelqu’un d’assez facile à rencontrer. Il faut juste réussir à m’attraper entre deux voyages....

 


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