Jacques Perconte
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  20 mars 2021  
Ovtchinnikova, Macha, Tetrade n°07 Andreï Tarkovski : nouvelles perspectives comparatives.
Patiras, entretien
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Dans un entretien, Jacques Perconte fait quant à lui l’aveu que le cinéma d’Andreï Tarkovski, tout comme celui de Jean Epstein, le « tient comme un rêve, il est comme un imaginaire abstrait […] ». Bien plus, formule- t-il : « quelque chose d’eux plane dans la nécessité que j’ai à faire des films, et dans l’assurance que j’ai, de ne pas savoir je vais »19. C’est cette mystérieuse et délicate filiation qui semble palpable dans le travail sur les textures, les couleurs et les lumières naturelles à l’œuvre dans sa pièce vidéo Patiras (2017) qui filme l’île éponyme de l’estuaire de la Gironde.

 


Entretien avec Jacques Perconte a propos de Patiras Comment s’est deroule le tournage de cette piece ? Avez- vous sillonne l’ile a la recherche d’une experience senso- rielle ou bien le parcours etait ecrit en amont ?

En 2007, lors ce que je commence a tourner ces images, je n’ai pas du tout le projet de faire un film. Je travaillais a l’epoque avec un cabinet d’architecture sur un projet de 1 % et il venait juste de finir l’amenagement de ce refuge a la pointe de l’ile de Patiras sur la Gironde, pour un proprietaire prive. C’est lui, quand il a decouvert mon travail, qui m’a passe la commande d’une oeuvre video dont le sujet serait l’ile et l’estuaire. Je proposais de faire une piece pour Internet qui monterait a l’infini les images de l’interieur et de l’exterieur de ce refuge creant ainsi une sorte de fenetre vers l’ile depuis n’importe quel point de la planete. Il etait que ce site Internet puisse etre installe sur un moniteur a l’interieur du refuge et a un auteur au domicile du proprietaire a Bordeaux. J’aime enormement l’idee de creer ce pont vers cet endroit magique. J’ai alors commence en juillet 2007 un tournage qui allait durer un peu plus d’un an. Je suis alle a six reprises passer quelques jours sur l’ile. J’ai tourne sans aucun plan dans ma tete, j’etais present a ce qui se passait, c’est- a-dire a peu pres rien. Je profitais de la lumiere incroyable offerte par le soleil a l’estuaire. Le ciel etait tout le temps incroyable. Le vent, presque tout le temps la, mettait en scene chaque element du paysage dans une danse souvent delicate et de temps en temps violente. Je passais beau- coup de temps avec les chiens et avec les oiseaux. La seule chose dont j’etais sur, c’est que je voulais rendre hommage a ce jeu incroyable de reflets et de transparence qui reliait le refuge a son environnement. L’ex- perience sensorielle etait tout le temps la. Comment avez-vous envisage le montage de ce film ? Selon quel principe agencez-vous les images des split-screen ? Meme si le projet original realise en 2008 fonctionnait deja sur le prin- cipe d’un split-screen, ce n’est pas ca qui presque 10 ans plus tard conduit a travailler de la meme maniere. L’histoire de ce film est un petit peu particuliere puisqu’il est ne de la commande d’un document audiovisuel racontant mon travail. Au fur et a mesure de l’elaboration le projet s’est transforme. J’ai un film dont le sujet etait le tournage d’un film. J’ai tourne en 2007 avec une camera mini DV, et je voulais preser- ver la qualite de ces images en ne trafiquant pas pour les passer dans un format cinema contemporain. J’ai alors joue de la proximite de la reso- lution verticale mini DV avec celle du scope 2 K. Je pouvais mettre sans les agrandir deux images cote a cote et ainsi montrer de la meilleure maniere possible ces images qu’on aurait pu croire obsoletes. Alors j’ai envie de monter le film a la fois dans le temps et dans l’espace et de jouer sur ce double fenetrage pour construire le rythme et raconter le ter- ritoire. C’est une approche purement sensible qui m’a guide. Je n’ai pas fait de plan pour le montage, j’ai improvise, visionne, repris, change, et ainsi de suite. Et c’est naturellement que j’ai eu envie de tourner tres brievement de nouvelles images en scope 2K, dans le format definitif, pour travailler l’ouverture et la fermeture du film. Mais ces images je ne les ai pas tournees la-bas. Les effets de compression interviennent a plusieurs reprises de l’oeuvre, mais ne la traversent pas entierement. Com- ment avez-vous determine les moments qui sont soumis a ces distorsions ? Je ne voulais pas du tout que la compression soit le sujet du film. Je vou- lais vraiment raconter ces images que j’avais tournees. Je voulais aussi faire la part belle a ce format que j’adore du mini DV et qu’il faut abso- lument que je reprenne pour un prochain projet. C’est aussi parce que je fais extremement attention aujourd’hui a ces questions de tournage, et que je rappelle autant que possible que ce travail que je conduis sur la compression video est une forme de revelateur, comme le developpe- ment l’est pour le film. Il ne fallait pas que l’on plonge dans cet univers. Je voulais faire vibrer quelque chose de brut. Et toute la bande sonore soutient ce travail. Une grande partie du son a ete enregistree avec ma camera pendant que je tournais. Les sons rapportes etaient enregistres avec un petit appareil a cote de moi. Les phenomenes naturels -- le vent, le soleil, l’humidite -- que vous evoquez dans la description de la piece sont aussi essentiels dans la filmographie de Tarkovski. Vous avez avoue par ailleurs que le cinema de Tarkovski rele- vait pour vous d’un « imaginaire abstrait ». Sans parler de filiation ou d’influence, y a-t-il des images, des sons, des couleurs de Tarkovski qui vous tiennent a coeur ? Tout de suite, et c’est peut-etre assez commun, je pense a la sequence d’ouverture de Solaris. Dans les annees 1910, Germaine Dulac proposait la defini- tion de la mise en scene qui serait la « faculte qu’a l’ecran de « faire jouer les nuances les plus subtiles de la lumiere, parler le geste, animer les formes, evoquer tout ce qui, par les yeux, s’adresse a l’esprit, et de la realite remonte jusqu’au reve. » » Est-ce que votre demarche artistique se- rait proche de cette definition ? Je me reconnais assez facilement a la premiere lecture de cette phrase. Mais je bute un petit peu sur « par les yeux, s’adresse a l’esprit ». Je perds un peu l’equilibre la, c’est parce que, je cherche, je crois, autant que pos- sible a limiter la perception mentale de mes images. Ce que je veux dire, c’est que j’aimerais arriver a produire des formes qui parlent a quelque chose de plus profond que l’esprit. Alors je ne sais pas bien ce que Germaine Dulac, appelle « esprit ». Mais je l’entends comme quelque chose qui filtre, et qui meme s’il conduit au reve peut avoir tendance a filtrer.

 


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