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Manifestations techniques du vivant
Par ailleurs, la capacité révélatrice de la technique ne se limite pas au vivant, mais englobe les phénomènes naturels. Là encore, l’enregistrement par l’appareil permet de mettre au jour une hétérotemporalité des processus non-humains qui souvent nous échappent. Un artiste contemporain tel que Jacques Perconte en apporte la preuve. Dans son travail Tempestaire (2020), Perconte fait revivre numériquement l’imaginaire de Le Tempestaire (1947) de Jean Epstein. Après avoir capturé des images d’un orage à Cap Fagnet, en Normandie, Perconte réalise une œuvre animée par un programme que l’artiste recompose à l’infini. Il enregistre numériquement des images nouvelles, à leurs tours déjà enregistrées :
Cette œuvre est animée par un programme que je recompose et affine à chaque nouvelle pièce. Il ne sert pas à agir sur les images ni à les transformer. Il génère le scénario du film. Ce sont les évènements du paysage filmé qui viennent agir sur la réalité technique de la vidéo. C’est de cette relation que naît la plasticité (Perconte, 2020, np.).
La tempête qui prend corps grâce à un processus génératif est révélée par un dispositif technique qui en modifie l’espace et le temps, en nous rappelant au passage la nature métamorphique de ces phénomènes météorologiques en perpétuel changement.
Dans la perspective d’une écologie des images, la vie est donc saisie techniquement à partir de l’idée de transformation, montrée au milieu du mouvement : une écologie donc du véhicule et non de l’oikos (maison). Comme le suggère le philosophe Emanuele Coccia dans la Vie des plantes, nous pouvons affirmer que « le monde n’est pas une entité autonome et indépendante de la vie, il est la nature fluide de tout milieu » (Coccia, 2016, p. 68). C’est justement l’unité de la vie qui nous permet d’imaginer cette « métaphysique du mélange » : faire des analogies, penser la transformation d’un être à l’autre et voir ainsi les multiples intersections entre divers domaines du vivant.
Reste à comprendre dans quelle mesure il s’agit bien d’une écologie des images, et pourquoi l’approche écologique des relations ne peut faire l’économie d’une interrogation de la technique. Une première réponse consiste à dire que la technique de la manipulation du temps dans l’image en mouvement permet de rendre compte d’une vie telle que nous ne l’avions jamais vue : la manipulation du temps (ralenti ou accéléré) devient le paradoxal préalable d’un accès à un temps naturel, propre à telle plante, à tel animal ou à telle chose dont les rythmes sont foncièrement inconciliables et imperceptibles pour un spectateur humain. Mais on pourra aisément objecter que cet accès à une altérité radicale est tout relatif, puisque si accès il y a, l’altérité cesse d’être absolue : les dispositifs et les opérations techniques divorcent-ils réellement des régimes perceptifs de leurs spectateurs, pour venir enregistrer une forme de vie toute autre ? Qu’y a-t-il de plus humain que le ralenti ou l’accéléré, et donc des techniques permettant de ramener à notre portée des hétérochronies autrement inintelligibles ? C’est sur ce point précis que l’approche technique doit s’enrichir d’une approche écologique et inversement, bref, que l’écologie du vivant gagne à passer par ce que l’on pourrait qualifier d’une « écotechnie » des images.
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