Jacques Perconte
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  10 octobre 2023  
Rebecchi, Marie, Turbulences.
Images et écologie: pour une hétérotemporalité des vivants et des images
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Une pensée écologique des images est tout d’abord une pensée par images des relations à ce qui nous environne. Et ce qui nous entoure entretient un rapport avec toute image capable de documenter et enregistrer la vitalité qui parcourt les êtres vivants. Une écologie des images nous révèle ainsi à ces différents milieux de la vie (animale, végétale, minérale), à ces êtres qui la peuplent, et dont les temporalités si souvent nous échappent. Cette pensée écologique permet d’observer la nature comme une manifestation technique, tout en remettant en cause la nature même de l’observation. Si nous cessons de concevoir l’écologie sur le mode statique d’une coexistence au sein d’une grande maison, mais que nous la pensons à l’aune des transits multiples et des trajectoires hétérogènes et pourtant connectés, la coexistence cesse d’être subordonnée à une pensée de la synchronicité. Des êtres aux temps et aux rythmes irréductibles les uns aux autres, des vivants et des non-vivants, peuvent se côtoyer et entretenir des relations fortes, sans que l’un soit à la mesure de l’autre ni que l’on entretienne l’illusion qu’il puisse à jamais y avoir un temps rigoureusement propre, individuel et décorrélé.

 

Marie Rebecchi est maîtresse de conférences en Esthétique et Histoire du cinéma à l’Université Aix-Marseille et membre du LESA. Après des études de philosophie en Italie, elle a poursuivi son travail de recherche et d’enseignement en France (Paris 3 Sorbonne Nouvelle). Elle a notamment publié Sergei Eisenstein and the Anthropology of Rhythm (Nero, 2017 avec Elena Vogman), Paris 1929. Eisenstein, Bataille, Buñuel (Mimésis, 2018), Puissance du végétal et cinéma animiste. La vitalité révélée par la technique (Les presses du réel, 2020, avec Teresa Castro et Perig Pitrou). Avec Antonio Somaini et Éline Grignard elle a organisé l’exposition « Time Machine. Cinematic Temporalities » (Parme, 2020) et en a co-dirigé la publication (Skira, 2020). Avec Jacopo Bodini et Stanislas De Courville, elle a co-dirigé l’ouvrage Cinéma du corps. Cinéma du cerveau. Deleuze aux frontières de la spectatorialité, Mimésis, 2024. Elle a été chercheuse invitée à l’Université de Lausanne (2021 et 2023). Elle a été Visiting Fellow auprès du Film and Media Studies Program de l’Université de Yale (2023), et travaille sur le projet « The Kaleidoscopic Image. An Alternative Archaeology of Optical Modernity ».


 


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Manifestations techniques du vivant

Par ailleurs, la capacité révélatrice de la technique ne se limite pas au vivant, mais englobe les phénomènes naturels. Là encore, l’enregistrement par l’appareil permet de mettre au jour une hétérotemporalité des processus non-humains qui souvent nous échappent. Un artiste contemporain tel que Jacques Perconte en apporte la preuve. Dans son travail Tempestaire (2020), Perconte fait revivre numériquement l’imaginaire de Le Tempestaire (1947) de Jean Epstein. Après avoir capturé des images d’un orage à Cap Fagnet, en Normandie, Perconte réalise une œuvre animée par un programme que l’artiste recompose à l’infini. Il enregistre numériquement des images nouvelles, à leurs tours déjà enregistrées :

Cette œuvre est animée par un programme que je recompose et affine à chaque nouvelle pièce. Il ne sert pas à agir sur les images ni à les transformer. Il génère le scénario du film. Ce sont les évènements du paysage filmé qui viennent agir sur la réalité technique de la vidéo. C’est de cette relation que naît la plasticité (Perconte, 2020, np.).

Jacques Perconte, Le Tempestaire, 2020, vidéo générative
Jacques Perconte, Le Tempestaire, 2020, vidéo générative.

La tempête qui prend corps grâce à un processus génératif est révélée par un dispositif technique qui en modifie l’espace et le temps, en nous rappelant au passage la nature métamorphique de ces phénomènes météorologiques en perpétuel changement.

Dans la perspective d’une écologie des images, la vie est donc saisie techniquement à partir de l’idée de transformation, montrée au milieu du mouvement : une écologie donc du véhicule et non de l’oikos (maison). Comme le suggère le philosophe Emanuele Coccia dans la Vie des plantes, nous pouvons affirmer que « le monde n’est pas une entité autonome et indépendante de la vie, il est la nature fluide de tout milieu » (Coccia, 2016, p. 68). C’est justement l’unité de la vie qui nous permet d’imaginer cette « métaphysique du mélange » : faire des analogies, penser la transformation d’un être à l’autre et voir ainsi les multiples intersections entre divers domaines du vivant.

Reste à comprendre dans quelle mesure il s’agit bien d’une écologie des images, et pourquoi l’approche écologique des relations ne peut faire l’économie d’une interrogation de la technique. Une première réponse consiste à dire que la technique de la manipulation du temps dans l’image en mouvement permet de rendre compte d’une vie telle que nous ne l’avions jamais vue : la manipulation du temps (ralenti ou accéléré) devient le paradoxal préalable d’un accès à un temps naturel, propre à telle plante, à tel animal ou à telle chose dont les rythmes sont foncièrement inconciliables et imperceptibles pour un spectateur humain. Mais on pourra aisément objecter que cet accès à une altérité radicale est tout relatif, puisque si accès il y a, l’altérité cesse d’être absolue : les dispositifs et les opérations techniques divorcent-ils réellement des régimes perceptifs de leurs spectateurs, pour venir enregistrer une forme de vie toute autre ? Qu’y a-t-il de plus humain que le ralenti ou l’accéléré, et donc des techniques permettant de ramener à notre portée des hétérochronies autrement inintelligibles ? C’est sur ce point précis que l’approche technique doit s’enrichir d’une approche écologique et inversement, bref, que l’écologie du vivant gagne à passer par ce que l’on pourrait qualifier d’une « écotechnie » des images.

 

 

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