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Artiste numérique et réalisateur de films jouant de la compression métamorphique de la matière vidéo, Jacques Perconte a développé un univers créatif unique autour de la plasticité de l’image. À partir de sa matérialité propre, il l’explore littéralement dans des « tableaux » paysagers, filmiques ou génératifs, en liant la symbolique figée de l’image à sa physicalité en mouvement. Portrait.
Qu’il s’agisse de ses live audiovisuels, de ses films, de ses pièces génératives, de ses vidéos (multicanales), de ses impressions numériques ou de ses installations in situ, il y a toujours quelque chose d’indicible dans les étonnants tableaux numériques paysagers de Jacques Perconte. Un mélange de fixité et de mouvement qui nous invite à scruter l’image davantage qu’à la regarder, un principe actif quasi organique qui stimule des paysages cinématographiques mi-réels mi-virtuels, induisant des détails colorimétriques assez saisissants. Une véritable magie visuelle mouvante qui rappelle étrangement le travail des peintres impressionnistes.
« Je crois - je ne sais pas si je l’ai déjà affirmé comme ça - qu’il y a véritablement à l’origine de mon travail un désir de continuer l’histoire de la peinture », explique Jacques Perconte. « J’ai toujours adoré la peinture et particulièrement celle qui a conduit au 20e siècle. Cependant je ne voulais pas produire une imagerie qui par la puissance informatique donnerait à voir la restitution digitale de leur génie. Je voulais avec l’ordinateur trouver la technique qui me permettrait de développer une pratique picturale spécifique à la vidéo en informatique et aussi puissante que celle que j’admirais. »
Sortir des vacuités de la représentation
Après avoir fait ses armes dans le domaine du web art, au milieu des années 90, puis dans la réalisation de films et de vidéos, Perconte a mis au point une technique filmique plutôt singulière, conçue directement à partir de codecs de compression vidéo plutôt que grâce à des outils d’effets.
« J’ai fait des effets dans une partie des vidéos que j’ai produites avant 2002, mais j’étais gêné de ça. C’est cette gêne qui m’a conduit à voir les possibilités du travail à même les codecs de compression vidéo. Si j’ai suivi ce chemin de réduction/focalisation/radicalisation de ma pratique en quittant l’effet pour le principe, c’est que dans tout mon parcours visuel il est question d’un combat à vif contre les vacuités de la représentation. Et je tiens l’effet pour le pire des artifices, puisqu’il est le support du simulacre, de l’illusion. Il détourne la forme de son origine pour prétendre la rendre autre chose. Pour moi, c’est ce qu’il y a de plus artificiel à priori. Faire des effets, c’est s’éloigner encore plus de l’origine, de la réalité, de la vérité, de l’humilité, de la force, de la vie, des autres. C’est un mensonge. »
Dans l’évolution de son travail, la pièce de transition se nomme Phex et date de 2001. « Cette pièce, c’est le passage de l’effet de surface au principe de la matière », explique-t-il. « La pièce est constituée de séquences exploratoires mêlant montage vidéo, sites internet refilmés, applets java, écrans refilés, effets de moires, occultations des mouvements de la surface des images … et de mes premières compressions vidéo. Depuis, mes films ont suivi le même cheminement. Ils ne sont pas pixellisés, il n’y a pas d’effet. C’est la matière même des images qui est travaillée et composée. C’est l’expression du sujet par l’altération, la déformation et la composition du moyen de diffusion.
Pratiques paysagères
Un autre paramètre est essentiel dans le travail de Jacques Perconte : le paysage, ou pour parler plus trivialement, « ce qui est filmé » par l’auteur lui-même en l’occurrence, mais sans aucune volonté de scénarisation.
« Plus jeune, j’allais beaucoup au cinéma. Je voulais aussi faire des films alors j’en ai fait plein. En seconde année, à la fac, j’ai commencé la vidéo et l’infographie. Grâce à ma motivation nouvelle pour l’informatique, on m’a vite donné un accès à une (station de travail) Silicon Graphics laissée de côté par quasiment tout le monde. C’était trop compliqué à l’époque. Ça m’a permis d’expérimenter le croisement de la vidéo et de l’informatique. C’était génial ! J’ai découvert par hasard internet ensuite et tout de suite j’ai fait des sites web. Mon premier était sur David Lynch. Je suis ensuite rentré en stage au CNRS, en 1997, sous la direction de Robert Vermineux, pour réfléchir à la mise en ligne d’un film documentaire archéologique (en 97 !). Puis j’ai commencé un long métrage vers 1998-99, Chloé, avec le soutien de Jan Kounen, un projet innovant. Mais la fin du tournage a été dure. Après un long moment, j’ai décidé d’arrêter le cinéma, de ne plus jamais toucher à la fiction. C’est un modèle trop complexe pour moi qui cherche à faire exploser ce qu’il y a à l’intérieur de l’image. J’ai continué à travailler sur les réseaux, avec le collectif lieudit (1997-2000), et je suis parti du CNRS en 2000 pour me consacrer aux arts plastiques. C’est là que j’ai découvert les bases de la technique que j’utilise aujourd’hui, ces compressions dansantes de données - datadancing, datamoshing si on veut. Tout cela a convergé vers 2003 avec Uaoen, mon premier film de paysage. Depuis cette époque, le paysage est au centre de mon travail. »
À partir de ce moment, Jacques Perconte trouve à la fois une technique personnelle, un moyen d’expression propre, et un motif – le paysage, incarné par les lieux essaimant les titres de ses pièces, comme Le Sancy ou Rhône – qui lui permet de se réinscrire dans l’histoire générale de l’art. Le cinéma reste bien sûr le cœur de son travail et c’est armé de ses outils de prédilection (caméras, algorithmes d’encodage, programmation et logiciels de traitement de l’image) qu’il s’attelle à chacune des étapes de la création de ses œuvres.
« Il y a plusieurs temps dans chacun de mes projets », précise-t-il. « Le tournage c’est le moment où je suis avec la nature, avec ce que je filme. Je fais mon cadre, mes réglages et je lève la tête de la caméra pour voir ce qui se passe. Ensuite, quand je rentre à l’atelier, je vois les images. La nature n’est plus là, mais la caméra a produit des formes contraintes par les choix que j’ai faits sur place. Le troisième temps est celui de la compression, de l’exploitation technique des images en tant qu’images. Je travaille à l’aveugle sur les fichiers, puis je regarde ce que cela produit, et ainsi de suite. J’engage une aventure entre les persistances du sujet enregistré et la technique numérique de la vidéo. L’esthétique nait alors de cette relation à quelque chose qui n’est plus là, mais dont la réinterprétation technique réitérée des dizaines, voire des milliers de fois, dont le potentiel de reconnaissance répétée, tend à excéder la perception et à poser les bases d’une esthétique matérialiste de l’excès. »
Tableaux paysagers in situ, live et paysages génératifs
Au-delà de ses films proprement dits, Jacques Perconte développe plusieurs déclinaisons de sa technique stylistique. L’an passé à Lormont pendant le festival Panoramas, on a ainsi pu voir ces Fenêtres paysagères, véritables sculptures-écrans se révélant en contrepoint du décor naturel du parc leur servant d’écrin. Il y a eu également Mistral, une œuvre générative présentée en septembre dernier dans la sacristie des Bernardins, onze heures d’images, toutes compressées de manières différentes et épousant parfaitement la forme architecturale du lieu.
La performance live est également redevenue une approche importante de son travail. « J’ai fait ma première scène vidéo/live en 2002 à Bordeaux avec Kid 606. J’avais passé des semaines à la préparer et cela a duré 2 h 30. Je me suis beaucoup amusé, mais j’ai détesté. Je ne me voyais pas faire du VJing en balançant mes images avec un logiciel et en les modulants avec des effets standards. Alors je me suis éloigné de cette perspective. La scène me manquait, mais je n’ai pu revenir qu’il y a peu. Le jour où les machines avaient tellement évolué que je pouvais non plus jouer les compressions enregistrées, mais les manipuler en direct et réellement explorer leurs infrastructures en déployant tous leurs potentiels comme le fait un musicien quand il joue d’un instrument.
J’ai fait une création en 2012, Dépaysages, avec Jean-Jacques Birgé, Vincet Segal et Anthonin-Tri Huang. J’ai vu que je pouvais aller loin et à partir de là j’ai multiplié les projets, avec Julie Rousse, Hélène Breschand, Jeff Mills, et Jean-Benoit Dunckel du groupe Air. C’est avec lui que je travaille le plus. Notre pièce s’appelle Hypersoleil. On l’a joué à la Gaîté lyrique pour l’ouverture de f.a.m.e. 2015, aux Qwartz à la Cité de la Mode et du Design, ou encore à la Cinémathèque. »
Depuis quelques années, Jacques Perconte a également développé, dans le cadre de sa relation avec la galerie Charlot dirigée par Valérie Hasson-Bennilouche, une exploration esthétique également tournée vers des formes non linéaires (dans lesquelles s’inscrit Mistral d’ailleurs), pour mieux répondre à un principe d’exposition en galerie qui soit en accord avec la temporalité de la visite du spectateur et en accord avec l’idée de collectionner une œuvre.
Exposition Horizons, de Jacques Perconte à la Galerie Charlot, dans le cadre de la Biennale Némo 2015
Ce sont ses Pièces génératives (ou Films infinis), dont le public a pu goûter les dernières moutures lors de la récente exposition Horizons qui a fermé ses portes à la mi-novembre. « Ces pièces fonctionnent toutes sur un principe commun », détaille Jacques Perconte. « Il y a à la base un film préparé (une séquence composée d’un ou plusieurs plans compressés et cassés, c’est-à-dire corrompus) qui est élu par un programme de manière non linéaire et générative. Le film se compose au fur et à mesure de sa lecture. Ce sont les modalités de lecture, principalement du travail de boucle, qui conduisent la vidéo à se libérer de sa plasticité. Concrètement, le programme décide de commencer à tel ou tel endroit dans le film et de lire quelques minutes à partir de là un certain nombre de fois en boucle. Puis il choisit un autre endroit dans le film et décide peut-être de ne répéter que cinq images à nouveau en boucle pendant quelques minutes. Puis il décide encore de lire cinq ou six minutes un peu plus loin, une seule fois. Ce sont les modulations de la lecture, en fonction des durées de boucles et du nombre de répétitions, qui vont produire des feedbacks, des échos, non pas sonores, mais visuels. »
Malgré ses choix assumés, Jacques Perconte continue à réfléchir à l’évolution de ses esthétiques artistiques. « Je ne me projette pas loin, mais je fais attention à cette évolution dans mes films qui a poussé dernièrement la limite du “genre expérimental” vers une forme plus documentaire », avoue-t-il ainsi. « Je me pose la question de mon cinéma. Maintenant que la technique est là, quelle place dois-je lui donner ? Quel doit être son contenu ? J’interroge aussi très fort le rapport de la musique à mes images, la place de la bande sonore qui enveloppe le spectateur dans une séance de cinéma. [le cinéaste d’avant-garde autrichien] Peter Tscherkassky, entre autres, a manifesté à plusieurs reprises son inconfort, son incompréhension face à la non-résonance radicale de mes directions musicales au vu de l’extrême radicalité de mes images. Je pense que mon prochain film qui s’appellera certainement Earth Walkers abordera au premier degré cette question. »
Autant dire que si le travail de compression de Jacques Perconte se glisse dans une approche audiovisuelle plus complète, moins naturaliste au niveau de ses environnements sonores, la fascination exercée par ses pièces risque d’en être encore décuplée.